Un sapin chez les Ivanov

d’Alexandre Vvedenski
Traduction André Markowicz
Mise en scène Agnès Bourgeois
Scénographie Didier Payen
Costumes / Masques Laurence Forbin
Lumières Sébastien Combes
Video Jean Dauriac
Musique Frédéric Minière et Guillaume Laîné
avec Valérie Blanchon, Corinne Fischer, Nathan Jacquard, Muranyi Kovacs, Guillaume Laîné, Jean-François Lapalus, Nolwenn Le Du, Frédéric Minière
Création en octobre 2008 à la Comédie de Saint-Etienne
Du 14 au 22 janvier 2010 – Nouveau théâtre de Montreuil
Une production Terrain de Jeu en coproduction avec la Comédie de Saint-Etienne – centre dramatique national, et le soutien de la Région Île de France
Administration Vincent Larmet
Diffusion Isabelle Patain
Crédit photos David Schaffer

Lu dans :  Libération

Le temps a mangé les événements. Il n’en est même pas resté les noyaux.

« A la veille de Noël, les enfants se baignent. Une commode, aussi, qui se tient là. A droite de la porte, les cuisiniers saignent des poulets et saignent des porcelets. Des nurses, des nurses, des nurses qui lavent les enfants Au mur, à gauche de la porte, est pendue une pendule. Il y a dessus neuf heures du soir. »

A. Vvedenski

Au terme de la pièce, une petite fille de 35 ans aura été assassinée à la hache par sa nurse à bout de nerfs, les parents se seront lamentés, les bûcherons, dont Fédor le fiancé de la nurse assassine auront coupé et amené le sapin de noël, la nurse, après avoir tenté de se faire interner aura été jugée et condamnée, le soir de noël sera enfin arrivé et le moment pour les enfants de découvrir le beau sapin, et enfin pour toute la famille de mourir. Il sera alors sept heures du soir le lendemain.

« Fin du neuvième tableau, et en même temps de l’acteet en même temps de la pièce toute entière. »

A. V.

Dans cette pièce de théâtre – comme on dirait de bœuf ou de la maison – le temps, indifférent, indépendant et impérial, trace imperturbablement son chemin. On est à la veille de Noël, et les occupants de la pièce s’inquiètent de n’être pas au rendez-vous quand, de la coïncidence entre le temps et l’événement, surgira le merveilleux.

Dans la composition théâtrale, notre travail doit consister à rendre perceptible le sens au-delà de l’entendement. Que cela passe par le rire, l’effroi, les larmes ou le rejet, le théâtre exigé par cette poésie adviendra si, à l’image de ses occupants,  nous cherchons, dans cette communauté d’espace et de temps, à entrevoir l’invisible dans un moment d’éphémère existence.

La représentation est éphémère. L’éphémère pourrait être le fil conducteur de ce travail, comme le sapin qui clignote, scintille et s’éteint. Les tableaux se dessinent et s’effacent, comme sur une ardoise magique, ou un calendrier dont on arrache les pages. Il n’y a aucune dimension psychologique, simplement des figures qui s’agitent, prononcent des phrases fatales, essentielles, qui tombent comme des couperets.

Il ne doit pas y avoir de traitement systématique. Chaque moment est réinventé, pour lui donner son meilleur écho. Les heures indiquées par Vvedenski arrivent comme une ponctuation. A la fin, tout a disparu, comme au réveil. Les paroles – toutes les paroles de l’auteur, aussi bien les didascalies que les dialogues – surgissent comme une évidence, chaque phrase est un trait, précis, aiguisé, rythmé, et les mots dessinent les tableaux.

La musique, composée pendant le travail, peut intervenir à deux niveaux : d’une part dans l’approche rythmique de la langue, pour aller jusqu’au chant, et d’autre part en prenant en charge la dimension catastrophique du texte. Une menace, omniprésente, que l’on fait sienne. Une lame de fond.

Cette pièce est comme un volcan qui fait irruption, nous montre ses entrailles puis s’étouffe lui-même. Si on n’a pas regardé à ce moment-là, on ne sait pas qu’il s’est passé quelque chose. 


– Agnès Bourgeois

Le théâtre des Obériouty (extrait du manifeste Oberiou)

“Le sujet d’une représentation théâtrale est théâtral, tout comme le sujet d’une œuvre musicale est musical.Ils représentent tous une seule chose, le monde des phénomènes, mais, en fonction du matériau, ils transmettent celui-ci de manières différentes, chacun à sa façon. En venant chez nous, oubliez tout ce que vous êtes habitués à voir dans les théâtres. Beaucoup de choses vous paraîtront peut-être absurdes. Nous prenons un sujet dramaturgique. Au début, il se développe simplement, puis il est soudain interrompu par des éléments accessoires, semble-t-il, et de toute évidence absurdes. Vous vous étonnez. Vous cherchez à trouver ces lois habituelles, logiques, que vous croyez voir dans la vie. Mais elles sont absentes. Pourquoi? Mais parce que l’objet et le phénomène, transposés de la vie sur scène, perdent les lois qui les régissent dans la «vie» et en acquièrent d’autres, théâtrales celles-ci. Nous n’allons pas les expliquer. Afin de comprendre les lois qui régissent une représentation théâtrale, il faut voir celle-ci. Nous pouvons seulement dire que notre objectif est de donner sur scène le monde des objets concrets dans leurs relations réciproques et dans leurs collisions.”