Le Conte d’hiver

Le Conte d’hiver de William Shakespeare d’après la traduction de Bernard-Marie Koltès
Mise en scène Agnès Bourgeois
Scénographie Didier Payen
Costumes Laurence Forbin
Lumières Sébastien Combes
avec Corinne Fischer, Christophe Givois, Vincent Jaspard, Muranyi Kovacs, Guillaume Laîné, Jean-François Lapalus, Nolwenn Le Du, Mélanie Zucconi, Agnès Bourgeois
Spectacle créé à Anis Gras, le lieu de l’autre du 20 au 30 septembre 2011
Coproduction Terrain de Jeu, Arcadi (Action régionale pour la création artistique et la diffusion en Ile de France), avec l’aide de la Spedidam et la co-réalisation d’Anis Gras

article de : Claire Nancy

Le Conte d’hiver de Shakespeare est le récit d’un malentendu amoureux qui vient bouleverser l’ordre du pouvoir. Dans la pièce, le personnage du Temps fait allusion à son pouvoir de transgresser la Loi : le temps du désir et de la mort contre la loi du monde. Cette version resserrée du Conte retient de ce processus de décomposition et de recomposition, la question des formes qui permettraient le mieux de nous le faire éprouver.

Comme l’écrit Peter Brook dans ses ‘propos sur Shakespeare’ :
« La densité de l’instant – c’est ce qui nous intéresse au plus haut point ».

Mettre en scène Le Conte d’hiver aujourd’hui s’inscrit pour Agnès Bourgeois dans la continuité d’un parcours que l’on pourrait intituler « enquête scénique autour de l’impossible harmonie ».

Comme dans Un sapin chez les Ivanov, Le Conte d’hiver commence par une image d’Epinal, bouleversée dès la deuxième scène par la décision irraisonnée et individuelle d’un des protagonistes. Cet arbitraire entraîne chacun sur des chemins de traverses non balisés, et l’histoire doit se  réécrire en direct. Dans cette pièce tardive (écrite juste avant La Tempête), Shakespeare va très vite.

Un geste et un regard porté sur ce geste, et le soupçon d’adultère vient brutalement briser une amitié très ancienne entre deux rois. Tout bascule dans la haine la plus violente, avec pour conséquence immédiate la mort d’un héritier, de sa mère la Reine, et l’abandon de l’enfant qui vient de naître. Nous allons assister alors à la longue et difficile reconstruction de ceux qui restent, déboussolés. Au cœur de la fable, de la narration, notre reconstitution s’articule autour de deux images clefs. D’une part le regard posé par Léontès sur un geste d’Hermione vers Polixènes, qui conduira au sacrifice du fils et au désastre, et d’autre part le moment où l’ours dévore l’homme qui est censé sacrifier le bébé, moment qui sera suivi d’une renaissance.

Entre les deux, il y a beaucoup de chaos, de fantaisie, de violence, d’intérêts, de culpabilité, et le désir – indissociable de la mort – toujours prêt à bondir.

– Agnès Bourgeois

Tout, en effet, y est balayé par le désir : désir de survivre, désir de ne pas se laisser emporter par le temps, désir de ne pas vieillir, désir de ne pas être dépossédé ; désir dont on ne parle pas pour préserver un apparent équilibre social qui s’abrite derrière une imagerie normée et des corps normés.

Mais chaque corps contient son propre monstre qui surgit lorsqu’on ne s’y attend pas et le déborde. Shakespeare a choisi de faire apparaître d’emblée le monstre de Léontès, car sa position de roi rend les conséquences plus flagrantes. Nous sommes dans un conte et les figures sont emblématiques, lointaines.

Dans cette pièce hybride, le temps se joue et déjoue. Le spectateur doit y saisir les moments comme des tableaux dans lesquels sont pris les protagonistes. Ces tableaux se mettent en mouvement et se métamorphosent petit à petit à travers les corps des acteurs qui concentrent toute notre attention. De décomposition en recomposition, on glisse d’une image à l’autre, d’un pays à l’autre, du corps à la parole, qui parfois s’en dissocie complètement pour décrire ce qu’on ne voit pas ou qu’on ne peut pas voir, et prendre le statut de parole qui conte. Jusqu’à ce que la pensée imageante prenne le pas sur la pensée discursive, et que tout s’apaise devant la sculpture vivante d’Hermione.

Enfin, cette pièce pourrait être le récit posthume que Mamilius glisse dans l’oreille de sa mère :


Hermione : Allons, Monsieur, je suis de nouveau à votre disposition. Asseyez-vous là, s’il vous plaît, et dites-nous un conte.

Mamilius : Gai ou triste ?

Hermione : Aussi gai que vous le voulez.

Mamilius : Un conte triste convient mieux à l’hiver. J’en connais un, avec des esprits et des lutins.

Hermione :  D’accord pour celui-là. Assis, venez,venez ; faites-moi peur avec vos esprits ; faites de votre mieux. Vous êtes assez doué pour cela.

Mamilius : « Il y avait un homme… »

Hermione : Assis, assis. Venez-donc. Maintenant, allez-y.

Mamilius : « Il vivait près d’un cimetière. » Je vais vous la raconter tout bas, je ne veux pas que ces sauterelles entendent.

Hermione : Alors approchez et dites-le-moi à l’oreille.

— Shakespeare